Avant-garde #10 : Françafrique
"Dans la théorie marxiste, le rôle de l’avant-garde est d’influencer la masse des travailleurs, de l’orienter vers la révolution".
Avant-garde est une newsletter mensuelle qui propose des réflexions pour penser le monde qui vient et comprendre les enjeux contemporains. Cette newsletter veut susciter des interrogations, créer le débat et faire des idées et de la pensée la base de toutes actions.
Au sommaire ce mois-ci :
Matière à réflexion : Agir en attendant
Nourrir ses idées : Kemi Seba l’étoile noire, Jacques Foccart, Le franc CFA dernier vestige du colonialisme, Elgas essai sur le malaise post-colonial, La révolution pour se débarrasser de l’Etat colonial
Gospel : Achille Mbembe
Agir en attendant
Derrière chaque crise politique en Afrique de l’Ouest plane l’ombre de la France. De l’assassinat de Thomas Sankara au génocide rwandais, la France est accusée de mener une politique qui ne favorise pas l’émancipation de ses anciennes colonies.
L’histoire nous montre effectivement que les actions de la France ne sont pas toujours effectuées dans le sens des intérêts des pays africains. Les exemples sont pléthores mais peut-on reprocher à la France de mener une politique africaine incohérente à nos yeux, mais qui ne fait que servir ses intérêts. De plus, les élites dirigeantes africaines ont, elles aussi, profité de ce système.
Dès les indépendances, de nombreuses voix se sont élevées pour pourfendre ce système à qui l’on a donné le nom de Françafrique. La critique de ce système permet de comprendre les logiques qui sous-tendent cette relation qui ne peut perdurer en l’état. Le constat est clair, il faut changer la nature des liens entre la France et ses anciennes colonies.
Des actions pour changer les choses
Mais en attendant que le changement arrive, que pouvons-nous faire pour faire évoluer la réalité actuelle de nos pays. La réponse est simple : Agir et même à la plus petite échelle.
La première action défendue avec beaucoup de force par cette newsletter est de produire de l’intelligence. Mais de manière plus concrète, sur le terrain, nous pouvons financer la construction de cantines scolaires, rénover des sanitaires dans des écoles, fournir du matériel scolaire, sponsoriser des élèves, aider les femmes victimes de violence en s’investissant dans des associations. Écrire des livres, peindre, monter des spectacles, produire des films. Mettre notre expertise gratuitement au service d’étudiants pour les accompagner vers le monde professionnel.
Nous impliquer politiquement en participant à des élections. Travailler à mieux redistribuer les richesses en proposant de meilleures rémunérations à nos employés et plaider cette cause auprès de nos employeurs. Créer de la valeur par la création d’entreprises dont le seul objectif ne serait pas la quête du profit, mais la construction d’un lien social.
Avoir un impact
Cette liste n’est pas exhaustive et même très limitée, mais elle veut montrer qu’il existe de nombreuses actions à mener qui auront un impact concret sur la vie des populations.
L’idée est de mettre en avant la capacité que nous avons de faire évoluer nos sociétés et de les rendre plus justes et moins inégalitaires. Pour ce faire, il faut agir en sortant de la léthargie dans laquelle le confort nous installe parfois.
La France a une grande part de responsabilité dans les difficultés que nous traversons, mais les plus grands responsables sont sans doute l’inaction et la passivité. Ces initiatives auront peut-être des effets minimes, mais elles sont un positionnement politique. Elles disent quelle génération nous voulons être. Une génération en mouvement.
Nourrir ses idées
Franc CFA, dernier vestige du colonialisme
Créé en 1945 sous le nom de franc des Colonies Françaises d’Afrique, le franc CFA change de nom en 1960 tout en gardant ses caractéristiques. Aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, le Bénin, le Burkina, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo partagent cette monnaie gérée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Le FCFA repose depuis sa création sur quatre principes fondamentaux qui sont sujets à de nombreuses controverses : La parité fixe avec l’euro, la garantie de convertibilité illimitée et inconditionnelle, la mutualisation des réserves de change et la liberté des transactions et des mouvements de capitaux.
Cette monnaie est accusée par certains d’entraver la compétitivité des économies africaines, de favoriser la parité fixe avec l’euro au détriment du financement des économies locales ou encore de protéger les investisseurs européens et internationaux contre le risque de perte de change.
Mais elle est pour d’autres, gage de stabilité économique, facilite les échanges entre les États membres et offre une crédibilité internationale aux pays qui l’utilisent.
C’est sur le volet symbolique que la critique du Franc CFA est la plus pertinente, cette monnaie par son histoire et sa structure symbolise de manière trop visible l’incapacité des Etat africains à gérer leur souveraineté monétaire sans le concours de la France.
La réflexion qui doit prévaloir est celle de savoir si le FCFA est la monnaie qu’il faut aux pays d’Afrique de l’Ouest pour porter leur développement et est ce qu’elle sert les intérêts des populations ou uniquement ceux d’une élite. C’est la réponse à cette question qui doit orienter le choix ou non du FCFA.
Dans ce documentaire, Katy Lena Ndiaye raconte l’histoire de cette monnaie, l’un des derniers vestiges de la colonisation.
Elgas, Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial
Cet essai porte sur les relations entre les écrivains et artistes africains et l’ancienne puissance coloniale et questionne la pensée décoloniale qui s’est transformée en tribunal faisant le procès des intellectuels soi-disant aliénés. L’accusation d’aliénation servant de motif de disqualification de tous ceux qu’on aurait définis comme complaisants avec l’ex colonisateur.
Dans ce pamphlet, l’auteur Sénégalais critique l’absence de débat pluriel que fait naître cette chasse aux aliénés. Il déconstruit les postures simplistes et analyse la complexité des liens qui unissent le continent et l’ex-puissance coloniale entre paradoxes et contradictions. Elgas plaide pour en finir avec le « ressentiment chronique contre la France » qui empêche de poser un regard lucide sur la colonisation et faire de la pensée décoloniale une vraie alternative intellectuelle.
Kemi Seba, l’étoile noire
Depuis 2007, Kemi Seba critique avec beaucoup de force et parfois d’outrance la Françafrique. À ses débuts de militant dans les rues parisiennes, son discours promeut des idées contestables. Condamné pour incitation à la haine raciale et violences en réunion, il a fait de multiples séjours en prison. Membre de la Nation of Islam, proche du mouvement kemite avec la création de l’association La tribu KA. Il a été ministre du New black panther, un mouvement non affilié au mouvement black panther des années 60 mais qui revendique son héritage.
En 2011, il installe au Sénégal puis au Bénin d’où il continue de mener la fronde contre l’impérialisme et la Françafrique. Il écrit des livres, partage sa pensée sur les plateaux télévisions. Au fil de ses engagements, le discours de Kemi Seba évolue, toujours provocateur avec un verbe excessif mais moins radical et moins sectaire. Cependant, son combat garde une constance, la critique du néocolonialisme et la défense des intérêts des peuples africains.
Kemi Seba est une voix qui porte dans le débat sur les questions qui concernent la relation entre la France et l’Afrique. Très suivi par la jeunesse du continent et de la diaspora, son audience auprès de cette population fait de lui un acteur important de la scène africaine qui ne peut être occulté.
Ces deux interviews permettent de se faire une idée sur sa pensée.
Jacques Foccart, l’ombre de la Françafrique
Secrétaire général à la présidence de la république pour les affaires africaines et malgaches, c’est le poste que va occuper Jacques Foccart auprès de Charles de Gaulle dès 1958 à l’orée de la phase de décolonisation. C’est ce poste qui va faire de lui l’homme derrière les nouvelles relations qui se construisent entre la France et les nouveaux pays indépendants dès 1960 sur le continent.
Sous Pompidou puis avec Chirac, il sera l’homme derrière la politique de la France en Afrique nouant des relations privilégiées avec les nouveaux présidents africains notamment avec Houphouët-Boigny, le grand manitou. Son ombre plane sur certaines affaires les plus sombres de la Françafrique, de la guerre du Biafra à l’élimination des leaders de l’UPC au Cameroun en passant par l’assassinat de Sylvanus Olympio, le premier président démocratiquement élu au Togo.
François-Xavier Verschave dans son livre “La Françafrique, le plus long scandale de la République” mettra en lumière ce système “mafieux” visant à garantir les intérêts économiques et politiques de la France tout en soutenant ces relais locaux à tout prix. L’histoire de Jacques Foccart est racontée dans ces deux émissions
Jacques Foccart, grand ordonnateur de la Françafrique
Chroniques d'un temps politique - La révolution pour se débarrasser de l’Etat colonial
Dans cette émission, l’intellectuel sénégalais Felwine Sarr reçoit Mame Penda Ba, agrégée en Sciences Politiques au Sénégal et chercheuse à l'université Gaston Berger de Saint-Louis.
Penda Ba apporte une réflexion sur la nature de l’Etat en Afrique et sa construction depuis l’avènement du colonialisme. Elle met en avant les similitudes entre l’ancien régime européen et le régime colonial. Deux régimes qui se définissent par leur forme tyrannique, l’arbitraire et l’inégalité. La révolution est le seul moyen selon elle de dépasser ce type de régime qui jusqu’à ce jour régit les sociétés ouest africaines.
Elle plaide également pour la création d’une pensée de la refondation pour dépasser ce modèle dont les élites dirigeantes se sont accommodées aux lendemains des indépendances. Cette nouvelle théorie devra mettre au cœur de sa conception la question du bien vivre des populations et intégrer toutes les couches sociales dans sa conception.
Gospel
« Si les Africains veulent se mettre débout et marcher, il leur faudra tôt ou tard regarder ailleurs qu’en Europe. Celle-ci n’est sans doute pas un monde qui s’effondre. Mais lasse, elle représente désormais le monde de la vie déclinante et des couchers de soleils empourprés. Ici l’esprit s’est affadi, rongé par les formes extrêmes du pessimisme, du nihilisme et de la frivolité. L’Afrique devra porter son regard vers ce qui est neuf. Elle devra se mettre en scène et accomplir, pour la première fois, ce qui n’a jamais été possible auparavant. Il faudra qu’elle le fasse en ayant conscience d’ouvrir, pour elle-même et pour l’humanité, des temps nouveaux. »
Achille Mbembe, Sortir de la grande Nuit